... Khazar contributions made it possible for Geonic Judaism to dominate and finally absorb other forms of Judaism at the same time that many members of non-Khazar Jewish communities throughout the Mediterranean region, Germany and France became agents of the slave trade either directly or through finance, tax farming, medicine or estate management, which were professions supported almost entirely by the slave trade in the early Medieval Period.
... Khazar contributions made it possible for Geonic Judaism to dominate and finally absorb other forms of Judaism at the same time that many members of non-Khazar Jewish communities throughout the Mediterranean region, Germany and France became agents of the slave trade either directly or through finance, tax farming, or estate management, which were all heavily involved in the slave trade in the early Medieval period or through the medical profession, whose revenue stream came almost entirely from slave traders or slave owners during this time frame.
... les contributions khazares ont permis au judaïsme géonien de dominer, et finalement d'absorber les autres formes du judaïsme, en même temps que de nombreux membres des communautés juives non khazares devenaient dans l'ensemble de la région méditerranéenne, ainsi qu'en Allemagne et qu'en France, des agents du commerce des esclaves, soit directement, soit à travers les finances, la perception des impôts, la médecine ou la gestion immobilière (autant d'activités professionnelles quasi totalement financées, au Haut Moyen Age, par le commerce des esclaves)
Contre la rationalisation des crimes sionistes
by Joachim Martillo (ThorsProvoni@aol.com)
10 octobre 2007
http://eaazi.blogspot.com/2007/10/origins-of-modern-jewry.html
Les sionistes et leurs partisans racistes blancs fondamentalistes chrétiens évangélistes justifient les massacres, l'épuration ethnique et le génocide contre la population indigène palestinienne en alléguant que les Ashkénazes ethniques descendraient de Judéens ou de Galiléens Palestiniens gréco-romains de l'Antiquité.
Cette croyance n'a aucun lien avec les réalités, comme l'ont reconnu en privé de nombreux spécialistes des études juives. Lors d'une de ses conférences au MIT, j'ai demandé au professeur à Harvard Shaye Cohen ce qu'il pensait du lien entre les Ashkénazes ethniques modernes et la Palestine antique ; il m'a répondu qu'il y avait eu beaucoup de conversions (au judaïsme) depuis l'époque gréco-romaine (quoi qu'ait bien pu signifier la 'conversion', à cette époque). En 2002, Marc Ferro a publié Les Tabous de l'histoire, un ouvrage qui examine dans le détail les conversions auxquelles le professeur Cohen faisait ainsi allusion.
Les conversions ne sont pas le seul phénomène qui ait déterritorialisé le judaïsme. Les Asmonéens et les Hérodiens semblent avoir poursuivi une politique consistant à placer le plus possible d'adorateurs de la divinité suprême El sous l'égide du Temple de Jérusalem, afin d'améliorer les finances du royaume de Judée. El, c'était le dieu Kronos des Grecs, et le Saturne des Romains. Dans la cité hellénistique de Tyr (au Liban), El Kon-Artz (El, Créateur de la Terre) était adoré sous la dénomination d'El-Kronos.
Du temps de Jésus, la grande majorité des adorateurs du dieu El, qui adhéraient au judaïsme du Second Temple, n'avaient probablement aucun rapport ancestral de quelque nature que ce fût avec la Judée gréco-romaine, ni avec les Juifs de Perse, ni avec l'ancien royaume de Juda.
En procédant à une analyse très minutieuse des sources historiques, Seth Schwartz avance, dans son ouvrage Imperialism and Jewish Society : 200 BCE to 640 CE (Jews, Christians and Muslims from the Ancient to the Modern World) [Impérialisme et société juive : de 200 avant JC à 640 après JC (Juifs, chrétiens et musulmans, de l'Ancien monde au monde moderne)], que, vers la fin du deuxième siècle, le judaïsme du Second Temple était complètement dispersé. Il affirme que l'Eglise constantinienne reconstruisit le judaïsme romain tardif. D'une certaine manière, Shaye Cohen est du même avis ; en effet, dans son ouvrage The Beginnings of Jewishness [Les origines de la judéité], il fait remonter au 4ème siècle l'origine de celle-ci, au sens où nous la comprenons aujourd'hui.
Dans l'analyse que fait Schwartz, la datation de Cohen est probablement trop précoce, car le judaïsme talmudico/géonique [le judaïsme géonique correspond à la période s'étendant du 7ème au 11ème siècle de l'ère chrétienne, ndt] n'est pas manifestement le courant dominant dans le judaïsme romain tardif, et la chrétienté judéenne, qui traite Jésus comme un messie, mais pas comme Dieu, ni comme le fils de Dieu, a encore aujourd'hui beaucoup d'adeptes en Palestine, en Mésopotamie et en Arabie Heureuse (dans le Hijaz). Ces chrétiens judéens considèrent qu'ils pratiquent une forme de judaïsme, et aucun groupe juif n'a de position bien définie en matière de matrilinéarité, ni de pratiques de conversion au sein du judaïsme, durant cette période historique.
Tandis que l'Empire romain chrétien tardif se retrécit graduellement, voire s'effondre, le Royaume Khazar connaît une ascension en Russie du Sud, et ce royaume est florissant, à partir du 7ème siècle, durant une période de mille ans. La richesse du royaume Khazar semble avoir été fondée sur le commerce d'esclaves Slaves (c'est le même mot…, ndt) et de membres d'autres groupes ethniques vivant dans le Sud de la Russie, tout d'abord avec l'Empire byzantin, puis avec les premiers Empires musulmans.
Faire le commerce des esclaves, à cette époque-là, ne saurait être assimilé au traffic d'êtres humains, de nos jours. La servitude, au sens ancien, comme l'esclavage tardif, islamique ou ottoman, pouvait apporter une mobilité sociale, conférer une autorité politique, voire un statut social important aux membres d'une population immigrée étrangère. Ehud Toledano discute ces aspects de l'Esclavage ottoman dans son ouvrage Slavery and Abolition in the Ottoman Middle East [L'esclavage et son abolition dans le Moyen-Orient ottoman]. L'esclavage khazar, l'esclavage byzantin et l'esclavage musulman précoce étaient probablement plus proches de ce système d'esclavage ottoman tardif.
Entretenir des relations commerciales avec les empires chrétien et musulman, voilà qui mit les Khazars dans une position délicate. Certains d'entre eux semblent s'être convertis au christianisme et d'autres à l'Islam, mais ces conversions peuvent avoir généré des problèmes pour leur commerce d'esclaves, car, en tant que chrétiens ou que musulmans, les Khazars allaient être confrontés à l'obligation de convertir leurs sujets slaves soit au christianisme, soit à l'Islam, et de les incorporer à leur communauté. L'esclavage, dans de telles conditions, est tout à fait problématique. Les judaïsmes de l'époque, qui étaient beaucoup moins voués au prosélytisme que la chrétienté ou le monde musulman, faisaient dans leur très large majorité un distinguo très tranché entre les membres de la communauté et les gentils, ainsi qu'entre les esclaves hébreux et les esclaves (gentils) cananéens. A partir du 8ème siècle (et peut-être même avant), les Khazars commencèrent donc à se convertir au judaïsme, et vers le 10ème siècle, le Royaume khazar pratiquait le judaïsme comme une religion officielle. Durant la totalité du Moyen Age, la littérature juive rabbinique fait constamment référence à l'Europe de l'Est sous le nom de Kanaan. J'imagine que c'était parce que l'Est de l'Europe était une source d'esclaves (de Slaves), qui étaient traités, du point de vue légal, comme des 'avadim kanaanim' [héb.] (C'est-à-dire des esclaves cananéens).
Contrairement aux pratiques onomastiques ibéro-berbéro-juives, qui incluent souvent des noms talmudiques en araméen qui sont cohérents avec l'immigration occasionnelle de juifs de Babylonie vers l'Espagne, les noms juifs khazars montrent le pattern de l'emprunt du nom propre des néoconvertis aux Ecritures, comme cela est décrit par William Bulliet, un professeur de l'université Columbia. Les fouilles archéologiques ont mis au jour des cimetières turciques mixtes, à la fois juifs et païens, le plus ancien de ces cimetières mixtes ayant été découvert en Russie méridionale (des cimetières de cette nature, mais plus récents, étant attestés dans les Balkans et en Hongrie). Les archéologues ont trouvé également des pièces de monnaie portant des inscriptions turciques et des inscriptions hébraïques utilisant des caractères araméens. Il n'existe pas, en revanche, de preuve textuelle ou épigraphique de la connaissance de l'arabe ou de l'araméen parmi les juifs de la Russie méridionale ou de l'Europe orientale au 10ème siècle, ou avant, contrairement à ce à quoi on aurait pu s'attendre si eux-mêmes ou leurs ancêtres proches avaient été des immigrants venus de Palestine ou de Mésopotamie.
Les Khazars avaient des échanges avec les Geonim, qui semblent avoir été désireux d'ajuster leurs lois sacrées afin qu'elles devinssent compatibles avec le commerce des esclaves, en échange d'un soutien économique. Cet arrangement est probablement à l'origine du judaïsme rabbinique médiéval, les esclavagistes khazars ayant besoin d'un système légal codifié, et les contributions khazares ont permis au judaïsme géonien de dominer, et finalement d'absorber les autres formes du judaïsme, en même temps que de nombreux membres des communautés juives non khazares devenaient dans l'ensemble de la région méditerranéenne, ainsi qu'en Allemagne et qu'en France, des agents du commerce des esclaves, soit directement, soit à travers les finances, la perception des impôts, la médecine ou la gestion immobilière (autant d'activités professionnelles quasi totalement financées, au Haut Moyen Age, par le commerce des esclaves). Les marchands juifs d'esclaves qui accompagnèrent Guillaume le Conquérant en Angleterre semblent avoir été, quant à eux, d'origine ibéro-berbère (et non d'origine khazare).
Le judaïsme rabbinique médiéval, matrilinéaire et non prosélyte qu'il était, s'est avéré exceptionnellement ouvert à la pratique du commerce des esclaves slaves. Des centres médiévaux d'enseignement juif rabbinique étaient florissants, là où se trouvaient les plateformes du commerce des esclaves slaves, tandis que les Karaïtes du Moyen Age étaient probablement les derniers résistants à l'accommodation avec les juifs géoniques. Ces centres Karaïtes déclinèrent, et tendirent de plus en plus à subsister dans des régions relativement isolées du monde de l'époque.
Amitav Ghosh a traduit beaucoup de documents de la Genizah écrits par un marchand juif d'esclaves vivant en Inde (ou à son sujet). Son ouvrage est intitulé In an Antique Land. Ghosh est quelque peu réticent à décrire la source de revenus du sujet de cette biographie…
Cette thèse des Khazars complète la thèse de Pirenne [un grand historien belge, 1862-1935] intitulée Mahomet et Charlemagne (1922-1923), ainsi que certaines hypothèses avancées par Crone, Cooke et Nevo sur le développement du premier Islam (Hagarism : The Making of the Islamic World, de Patricia Crone et Michael Cook, Crossroads to Islam de Yehuda Nevo et Judith Koren). L'expansion de diverses formes de judaïsme en Russie méridionale explique probablement la raison pour laquelle Saint Clément d'Ohrid a donné à plusieurs lettres de l'alphabet cyrillique une forme semblable à celle des caractères de l'alphabet hébraïque araméen. Ce sont sans doute des adeptes d'une religion juive non rabbinique qui ont créé le livre d'Esther en slavon, tandis que la chrétienté bogomile et le catharisme avaient sans doute été apporté plus à l'Ouest par des esclaves slaves qui pratiquaient des formes évoluées de christianisme judéen, lesquelles n'étaient plus reconnues comme juives par les Khazars juifs rabbiniques.
Tandis que le commerce des esclaves slaves s'étendait, les détaillants juifs eurent sans doute besoin d'esclaves slaves semi-prosélytes pour les assister dans leur activité commerciale. Un processus similaire se déroula en Afrique de l'Ouest, au moment où le commerce des esclaves africains noirs commença à devenir florissant. Dans les territoires germano-slaves, où les langues sorbe et polabienne (une langue slave de l'Ouest) étaient parlées, les marchands d'esclaves slavo-khazares, qui utilisèrent vraisemblablement ces langues initialement, furent incités à germaniser leur dialecte slave afin de faire du commerce avec des populations majoritairement germanophones, et de se séparer des Sorbes et des Polabes, tant païens que chrétiens. Durant la période s'étendant du 9ème au 13ème siècle, ce processus généra une forme primitive de la langue yiddish, qui donna naissance aux dialectes yiddish occidentaux parlés dans les territoires germaniques. Durant cette période, la population juive slavo-khazare devenant de plus en plus nombreuse et importante au sein de la communauté juive, l'arabe disparaît, en tant que langue des études religieuses, chez les juifs rabbiniques non-khazars.
Tandis que les commerçants khazars reconstruisaient les routes commerciales ou en créaient d'entièrement nouvelles, les juifs, tant khazars que non khazars, développaient des réseaux commerciaux pour des produits sans lien avec l'esclavage. En Espagne, le commerce juif non-esclavagiste ne semble pas avoir été très prisé, à preuve : l'expulsion, par l'Espagne, de sa population juive, moins de cinquante ans, environ, après la fin du commerce des esclaves slaves dans les pays méditerranéens chrétiens – conséquence de la conquête de Constantinople par les Ottomans [1553, ndt].
Le développement de réseaux de distribution sophistiqués et hétérogènes par les juifs, en Pologne, fit du Commonwealth polonais une riche puissance mondiale, tandis que la gestion immobilière, la finance et la perception des impôts par les juifs restèrent importantes, et même florissantes en Pologne, même après la disparition totale du commerce des esclaves slaves par voie de terre, aux environs de la fin des Guerres de la Contre-réforme.
Tandis que les juifs émigraient des territoires germaniques vers l'Est, en raison des Croisades et des Guerres de la Contre-réforme, les dialectes slaves kiévio-polessiens des populations juives slavo-turciques d'Europe orientale et de Russie méridionale (à l'exception de certaines communautés isolées en Slovaquie et dans la région subcarpathique, yiddishifièrent leur vocabulaire à partir du yiddish occidental, créant ainsi les dialectes yiddish orientaux. Paul Wexler [* voir, en annexe, la traduction en français d'une importante étude linguistique de cet auteur, ndt] explique la re-lexification du lexique yiddish, dans son étude intitulée Two-tiered Relexification in Yiddish [Le yiddish : une langue relexifiée aux deux tiers], mais sans proposer la moindre raison historique de ce processus. Le travail d'Alexander Beider et d'autres spécialistes des études onomastiques démontrent également une migration vers l'Ouest de juifs orientaux de langue slave. Certains des développements linguistiques du yiddish oriental pourraient s'être produits dans des régions germanophones.
Au 17ème siècle, pratiquement toute conscience de l'existence même d'un royaume khazare est perdue, chez les juifs, et les juifs yiddishophones d'Europe orientale constituent un groupe ethnique ashkénaze est-européen distinct. Au cours de la dépression économique qui a affecté l'Allemagne pendant un siècle après la signature du Traité de Westphalie (en 1648), ce pays a connu un brassage considérable de chrétiens germaniques apauvris et de juifs germaniques, et beaucoup de juifs sont probablement passés dans la communauté chrétienne, tandis que quelques chrétiens se sont vraisemblablement fondus dans la communauté juive. Durant cette même période, la Pologne s'étant effondrée à la suite de la Rébellion de Chmielnicki (en 1648 également), la Prusse polonaise passa sous domination allemande, et les juifs allemands commencèrent à développer une certaine familiarité avec le système foncier polonais. Ainsi, même après la cristallisation de l'ethnie ashkénaze, le lien entre juifs germaniques et ashkénazes ethniques européens orientaux n'a jamais été particulièrement solide.
Cet article semblera en contradiction avec les études génético-anthropologiques de Hammer, Oppenheim et d'autres auteurs similaires, mais ces études sont sévèrement biaisées, comme nous l'avons fait observer, le Dr. Mazin Qumsiyeh et moi-même [ http://tinyurl.com/3e4xby ]. Un article récent, de Talia Bloch, publié le 22 août 2007 dans la revue (juive de gauche) Forward (« One Big, Happy Family » [Une grande famille heureuse]
[ http://www.forward.com/articles/11444/ ], fait remarquer que même certains des généticiens sionistes les plus extrémistes commencent à concéder que les Ashkénazes ethniques sont un groupe ethnique distinct d'autres groupes ethniques juifs, mis à part le fait que des membres des communautés ashkénazes ou de populations européennes orientales ou russes méridionales ont été exportées vers des communautés non-ashkénazes, par le passé.
Ainsi, la rationalisation des crimes perpétrés par les sionistes contre les Palestiniens, sur la base d'une sorte de connexion ancestrale entre des juifs contemporains avec les populations palestiniennes antiques a toujours été immorale. Mais même ceux qui pensent que les gènes seraient susceptibles de conférer des droits supérieurs à un groupe sur un autre groupe doivent reconnaître que les Ashkénazes ethniques, en Palestine, sont des intrus, des voleurs et des assassins génocidaires.
ANNEXE :
Les Khazars
Ce que la langue yiddish a à nous apprendre quant au rôle joué par les Khazars dans l'ethnogenèse ashkénaze
par Paul Wexler
http://www.israelshamir.net/Contributors/Contributor17.htm
Traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier [Le 27 juillet 2005, afin de « célébrer » – et de tenter d'oublier – la présence du général Sharon à Paris]
[Les passages en gras sont soulignés par moi-même. NdT]
Les étudiants en histoire khazare s'intéressent depuis longtemps au sort subi par les Khazars après l'effondrement de leur Empire, au dixième siècle. C'est là un sujet de recherches complexes, étant donné que cet ethnonyme, dans son habitus natif, tombe en désuétude au 11ème siècle, après avoir perdu sa raison d'être en tant que qualificatif politique. Alors qu'a été largement soutenue l'hypothèse que les populations non-judaïsées auraient fusionné avec des groupes partageant le même territoire ou des territoires contigus, en fonction de liens linguistiques, ethniques et/ou religieux, persiste un très large désaccord sur la question de savoir si les Khazars judaïsés ont (ou non) fusionné avec des juifs non-khazars (lesquels auraient adopté l'épithète des précédents) ou s'ils ont été assimilés par des populations non-juives, voire les deux. Certains spécialistes semblent pencher pour la fusion des Khazars juifs avec d'autre juifs, au Caucase, et peut-être même en Asie centrale et dans le Croissant fertile, mais subsiste un vaste désaccord quant à la possibilité que des juifs khazars (i) aient pu étoffer les communautés juives dans les territoires slaves orientaux (dont l'existence même a été tout récemment remise en question par Perswetoff-Morath, 2002) ou (ii) aient, de fait, constitué la composante principale des communautés ashkénazes yiddichophones de la Pologne et des territoires slaves orientaux, à partir du treizième siècle.
Comme on l'imagine, cette question est très lourde de conséquences, étant donné qu'une origine première khazare des juifs ashkénazes invaliderait la thèse sioniste, selon laquelle les juifs contemporains seraient largement d'origine palestinienne sémitique et auraient, de ce simple fait, une légitimité à vivre en Palestine supérieure à celle de la population arabe palestinienne indigène…
La plupart des spécialistes sont fondés à être sceptiques au sujet de l'hypothèse selon laquelle les Khazars seraient devenus une composante majeure dans l'ethnogenèse des juifs ashkénazes, au moment où ceux-ci émigrèrent d'Allemagne en Pologne (au treizième siècle), en Biélorussie et en Ukraine (au quinzième siècle), étant donné que tous les tenants de l'hypothèse ashkénazo-khazare (voir par exemple Gumplowicz 1903, Koestler 1976 [La Treizième tribu] et Sobolev 1998, ce dernier avec une riche littérature) n'ont pas réussi à étayer leur affirmation avec des arguments convaincants. L'adhésion arabe à l'affirmation selon laquelle l'essentiel des effectifs juifs contemporains sont d'origine khazare (voir 'Amâra 1967, Shâkîr 1981,1984) a aussi pour effet de ne pas rendre l'hypothèse particulièrement sympathique à beaucoup de chercheurs. Une chose est sûre : les populations juives historiquement énormes en Pologne et dans les territoires slaves orientaux ne nécessitent aucun apport khazar important ; en toute théorie, la population fondatrice pourrait avoir été modeste, et d'origine ouest-européenne.
Les historiens, dans le futur, peuvent encore espérer apporter un éclairage au sujet, s'ils se montrent capables de déterminer si, où et quand, les juifs khazars et non-khazars ont fusionné en une unique communauté, et quelle est la signification de l'utilisation du qualificatif « ashkénaze » appliqué à certaines juiveries caucasiennes ? Par exemple, la Première Chronique Russe de Nestor distingue entre juifs « khazars » et juifs « non-khazars », à Kiev, d'après leur seul nom de famille ; mais, dans la Principauté de Vladimir-Suzdal', pour l'année 1175, seuls des « juifs » sont mentionnés (voir Paszkiewicz 1983 ;93, Pinkus 1988,4) ; dans la langue lezgue du Daghestan du sud-ouest et du nord de l'Azerbaïdjan, les juifs caucasiens sont appelés « ashkénazes » (Czortkower 1933, 148, 1)
Toutefois, à mes yeux, la meilleure preuve de l'hypothèse selon laquelle les juifs ashkénazes sont largement d'origine khazare (slave et turcique) est linguistique, et elle provient de la langue yiddish elle-même.
Je soutiens que le yiddish est une langue slave mixte, entre occidentale et orientale (et non pas un dialecte allemand, comme on le croit trop souvent – voir ci-après, et mon article de 2002). Des deux substrats natifs slaves du yiddish – le sorbe et l'ukrainien/pré-biélorusse (ou en termes historiques, « kiévio-polessien ») – c'est l'empreinte du second qui pointe de manière non équivoque l'existence de juiveries slavophones dans certaines régions de l'ancien royaume khazar, qui devinrent finalement des yiddishophones. Partant, une possibilité majeure, pour la naissance du peuple askhénaze, pourrait résider dans les terres actuellement biélorusses et ukrainiennes, où une juiverie indigène de langue slave (comme l'indiquent mieux que tout les faits linguistiques mêmes du yiddish) ne pourrait provenir que de Khazars de langues turco-iraniennes. De plus, le lexique et la grammaire yiddishs révèlent des liens avec les langues turques et iraniennes, qui n'ont pas jusqu'ici été assez étudiés.
Des argumentations linguistiques, autres que tirées du yiddish, ont été présentées, par le passé, pour déterminer le devenir des juifs khazars après le dixième siècle, mais elles ne sont pas convaincantes. Ainsi, par exemple, un certain nombre de spécialistes, tout au long du vingtième siècle, ont affirmé avoir trouvé des emprunts khazars dans des langues coterritoriales et contiguës (voir Wexler 2002). Mais ces termes, au mieux, peuvent seulement révéler les contours historiques de contacts linguistiques khazars, mais pas nécessairement le sort des juifs khazars après le dixième siècle, étant donné que des emprunts ont pu leur être faits antérieurement à l'effondrement de l'Empire khazar.
On assume généralement que les juifs khazars, parlant des langues turciques, iraniennes et autres, pourraient être devenus des locuteurs courants de langues pré-slaves orientales, dès les neuvième et dixième siècles, grâce à leurs contacts avec les Slaves. Curieusement, la première mention du terme slavon pour « Allemand » (ou peut-être, s'agissant d'attestations tellement précoces, au sens d' « étranger »), nmc/nmec/ (~ uk. nimets), apparaît dans une lettre de la fin du dixième siècle, écrite en hébreu par le roi khazar Josef à Asdaj ibn Shaprût, le représentant du Calife de Cordoue (voir Golb et Pritsak, 1982, 75-121). Ce fait est important, à deux titres : (i) il suggère que le terme hébreu 'ashkenaz, terme prévalent pour désigner les « Allemands », les terres allemandes, l'Allemagne, en hébreu médiéval, n'était pas encore en grande circulation à cette époque (l'hébreu biblique 'ashkenaz désignait un peuple iranien). Noter que le terme 'akhenaz, en hébreu médiéval, qui désigne aujourd'hui les Allemands et les juifs allemands, dénotait originellement également les Khazars, les Scythes et les Sarmates (voir Krojs 1932, 1935, 387-389 ; Modelski 1910, 40, 78, 92 ; Poznanski 1911, 76 ; Wexler 1987 , 3, 9, 160, 2002, chapitre 4 ;7) (ii).
Cela révèle des contacts avec des locuteurs de slavon, bien que cela ne nous donne que peu d'indications sur le statut ou l'origine des Slaves dans l'Empire khazar, dès lors que les rares slavicismes khazars attestés, y inclus le terme (nimets) ci-dessus, se retrouvent dans un certain nombre d'autres langues, comme par exemple le hongrois pré-migration, le grec byzantin et l'arabe [langue dans laquelle il désigne… les Autrichiens ! ndt], et pourraient, par conséquent, être le reflet soit d'un corpus commun, soit d'une connaissance du slavon (lequel, à l'époque, était en train d'acquérir le statut d'une lingua franca internationale), bien au-delà de la seule communauté khazare. Le voyageur juif catalan Ibrâhîm ibn Ja'qûb, qui explora l'Europe centrale à la fin du dixième siècle, inclut les Khazars à sa liste de locuteurs du slave (voir Peisker 1905, 113, 133) [Ils ne parlent donc pas non plus l'hébreu ! NdT]
La plupart des linguistes, et des non-linguistes, aussi bien, considérant que le yiddish est une évolution du haut-allemand, remontant en gros au dixième siècle, je dois tout d'abord justifier (fût-ce brièvement) les raisons pour lesquelles je pense que le yiddish est, en réalité, une langue mixte entre le slave occidental et le slave oriental.
Contrairement à l'opinion couramment reçue, selon laquelle le yiddish serait né au moment où les juifs locuteurs du (judéo ?) français et du (judéo ?) italien se sont installés dans les pays du Rhin et en Bavière, aux neuvième et dixième siècles et ont fini par adopter / adapter les dialectes germaniques locaux (voir Vajnrajx, 1973), je pense, pour ma part, que le yiddish est apparu quand des juifs locuteurs du sorbien (une langue slave occidentale parlée dans les territoires mixtes germano-slaves) ont commencé à « relexifier » leur langue en tendant vers le haut-allemand (et, dans une moindre mesure, vers l'hébreu et un succédané d'hébreu, que j'appellerai l'hébroïde) – en tendant vers des « cordes phonétiques » hautes-allemandes, plus exactement – entre les neuvième et douzième siècles (voir plus loin, pour plus de détails). Ceci signifie que le yiddish a débuté comme une langue slave occidentale, avec ce trait linguistique inhabituel consistant à posséder un lexique à prédominance germanique. Les locuteurs du yiddish qui ont créé une littérature originale en hébreu, en l'absence totale de locuteurs de l'hébreu, durent recourir à leur grammaire slave originelle, à laquelle ils surimposèrent un vocabulaire hébreu classique, afin de produire un « hébreu » écrit ; ceci fit de l'hébreu non parlé (et, plus récemment, de l'hébreu parlé, qui commença à exister à la fin du dix-neuvième siècle) des juifs yiddishophones une langue slave aussi bizarre que le yiddish pouvait l'être lui-même (voir Wexler 1990).
Vers le quinzième siècle (au plus tard), les juifs slaves orientaux des contrées kiévio-polessiennes, y compris un nombre inconnu de descendants des Khazars judaïsés, relexifièrent leur parler originel kiévio-polessien en tendant vers le yiddish, langue que les immigrants ashkénazes introduisirent dans leur région. Le yiddish lui-même, en train de se réajuster ( en tendant vers le haut-allemand contemporain) ses normes de prononciation, devint dès lors une source lexifiante pour le kiévio-polessien. Les juifs khazars ayant migré vers l'ouest tant avant qu'après l'effondrement de l'Empire khazar, à la fin du dixième siècle, il est concevable que leurs descendants, s'il étaient également locuteurs du kiévio-polessien, et s'ils avaient des contacts avec des yiddishophones, aient pu être déjà relexifiés en tendant vers le yiddish, avant la migration ashkénaze vers la Kiévio-Polessie [cette région marécageuse, un paradis écologique, a été malheureusement très affectée par la catastrophe de Tchernobyl, ndt] (la distribution d'un nom d'une tribu khazare en Europe centrale et orientale suggère les endroits où les Khazars judaïsés sont susceptibles de s'être fixés : voir Lewicki 1988, et la discussion, ci-après). Au nombre des matériels archéologiques importants, soutenant la thèse selon laquelle les juifs khazars (et possiblement également avares) aient migré vers l'Ouest, en direction de l'Europe, figurent des fragments de pierre portant des motifs ornementaux juifs et quelques inscriptions hébraïques remontant aux sixième-huitième siècles, et trouvés à Celarevo (en Voïvodine, Serbie), ainsi que des bagues khazares portant des lettres hébraïques, trouvées dans le district voisin de Baranya, au sud de la Hongrie (voir Bnardzic 1978-79, 1980, 1985, Kiss 1970).
La forte vraisemblance que les locuteurs du kiévio-polessien aient relexifié leur langue, en tendant vers le vocabulaire yiddish, aux quinzième-seizième siècles, présuppose l'existence d'une importante juiverie de langue slave orientale. Celle-ci, à son tour, ne pouvait avoir de racines, pour l'essentiel, que dans la population turco-iranienne khazare judaïsée qui devint locutrice du slave après l'effondrement de l'Empire khazar, à la fin du dixième siècle (et probablement, aussi, avant, de manière limitée). Partant, le yiddish présente l'indication la plus vraisemblable pour le sort de la juiverie khazare « disparue », et constitue une preuve éclatante de l'affirmation selon laquelle les juifs ashkénazes contemporains ne sont pas les principaux descendants des juifs de Palestine.
Dans certaines régions, le yiddish I (haut-sorbien relexifié), et le yiddish II (kiévio-polessien relexifié) pourraient avoir coexisté, alors que dans d'autres, ils pourraient avoir pris des contours géographiques complémentaires (par exemple, le yiddish I a pu être prédominant en Pologne et dans certaines parties de l'Ukraine, alors que le yiddish II aurait été largement dominant en Biélorussie et dans la majorité des régions de l'Ukraine), et finalement, dans certaines régions, les deux yiddishs slaves, rapprochés par un lexique commun, relexifié germanique, et des grammaires slaves similaires, auraient pu fusionner. Les origines des dialectes yiddish contemporains pourraient remonter à des relations mutuelles entre yiddish I et yiddish II, plutôt que dans des dialectes germaniques partageant les mêmes territoires.
Maintenant, qu'entend-on par relexification ? La relexification désigne le phénomène par lequel une langue procédant à des emprunts adopte des « enchaînements phonétiques vides » à une langue étrangère, tout en fournissant à ces enchaînements ses propres fonctions syntaxiques et sémantiques. Partant, la relexification est l'image au miroir du « calque », c'est-à-dire de la formation de traductions empruntées de modèles du discours non-natifs, en recourant exclusivement à des morphèmes natifs (exemple : le russe vïgladjet' « apparaître », avec son préfixe « vers l'extérieur » (vï) et sa racine verbale « voir » (gladjet'), calque la structure composée du verbe allemand aussehen, avec un sens identique). Dans le cas du yiddish, des juifs de langue slave ont remplacé leur lexique natif avec des germanismes, en veillant à ce qu'existent des recouvrements appropriés entre les chaînes phonétiques germaniques et les mots slaves correspondants. Là où les lexèmes germaniques ont subi des processus dérivationnels ou phonologiques (par exemple, des alternations morphophonémiques) qui auraient violé les normes slaves, les germanismes étaient généralement interdits d'utilisation en yiddish. Ces gaps lexicaux devaient être comblés, ce qui fut fait en retenant certains lexèmes originels, slaves, ou en recourant au vocabulaire hébreu ; là où ce dernier manquait, les locuteurs de yiddish devaient forger des hébroïdismes (sur les principes théoriques de la relexification, avec une riche bibliographie, voir Horvath et Wexler 1997).
S'ajoutant au fait que le yiddish ne peut faire que des emprunts limités aux ressources germaniques, il requiert souvent (sous la pression du slave) que les germanismes acceptés soient assignés à des fonctions très idiosyncrasiques. La plupart des locuteurs et des observateurs non-natifs supposaient que le yiddish était soit une « déformation », soit « une excroissance juive créative » du haut-allemand, l'attrition des germanismes et l'acquisition des slavicismes résultant d'un contact prolongé avec les langues slaves. Toutefois, la seule composante majeure du yiddish qui ne présente pas de traits innovants formels et / ou sémantiques significatifs est la composante slave ; ceci suggère que le yiddish était une langue slave qui exploitait uniquement ses deux composantes lexicales non-slaves : l'hébreu / hébroïde et l'allemand (germanoïde).
Beaucoup d'études morphosyntaxiques et phonologiques du yiddish ont mis en évidence des similarités entre les grammaires yiddish et slaves (j'ai exclu de cette généralisation la plupart des textes en vieux yiddish, qui sont génétiquement germaniques, et n'ont pas de lien avec les dialectes yiddish orientaux contemporains ; sur les yiddish « allemand » et « slave », voir Wexler 1995). Nous avons donc essentiellement deux options méthodologiques à notre disposition pour établir l'affirmation d'une double relexification en yiddish : (a) élargir l'étude comparée des grammaires yiddish, allemande et slaves et / ou (b) montrer qu'il est possible de prédire la majorité du corpus lexical yiddish – dans toutes ses variétés de composition. Dans Wexler 2002, j'ai choisi la seconde méthode, parce que la prédictabilité du corpus représente un texte de référence pour le diagnostic de l'hypothèse de la relexification (et invalide, par conséquent, l'hypothèse d'une large influence slave sur un yiddish prétendument germanique), et aussi parce que les résultats sont plus frappants et d'une obtention plus rapide que lorsqu'on recourt à une comparaison (laborieuse) entre les grammaires yiddish, allemande et slave.
Le corpus primitif germanique du yiddish peut être prédit avec une précision considérable, en comparant les lexiques et les appareils de dérivation de l'allemand, du haut sorbien et du kiévio-polessien. Il est hautement significatif que nous soyons à même d'anticiper lesquels des germanismes sont susceptibles d'être acquis au moyen de la relexification, et lesquels seront vraisemblablement interdits d'incorporation au yiddish et, partant, remplacés par des composants non-germaniques. Les germanismes bloqués sont remplacés par des slavicismes originellement retenus, ainsi que par des hébraïsmes ; on ne peut prédire lesquels des composants slaves et hébraïques seront utilisés en yiddish, mais on peut prédire dans quelles parties du lexique les composants slaves et hébreux (et en particulier hébroïdes) sont enclins à apparaître. La capacité de faire de telles prédictions, avec un degré extrêmement élevé de succès, est le test de diagnostic le plus important montrant que l'on est en présence d'une relexification. Par exemple, les termes germaniques associés « Ahne » (ancêtre) et « Enkel » (petit-enfant) ne peuvent être attendus tous les deux en yiddish, puisque les langues slaves requièrent des racines différentes. Comme attendu, le yiddish a « ejnikl » (pour « petit-enfant »), mais « oves » (pour « aïeux »).
L'important volume des germanismes refusés par le yiddish, prédisible uniquement par l'hypothèse de la relexification, explique pourquoi le yiddish présente un corpus aussi étonnamment riche d'hébraïsmes et d'hébroïdismes, excédant largement le corpus hébraïque présent dans d'autres langues juives. Là où les textes hébraïques sémitiques existants, en nombre limité, échouaient à fournir des solutions de rechange aux germanismes bloqués, les locuteurs du yiddish devaient inventer de nouvelles formes hébraïques, ainsi que de nouvelles significations données à des mots anciens. Les germanismes utilisés exclusivement en yiddish, en violation des normes slavistiques, sont peu nombreux, et la plupart des exemples peuvent être analysés comme des emprunts relativement récents, et en tous les cas post-relexification (à partir du seizième siècle, et généralement dans un parler à la germanisation perçue pour telle).
La relexification n'intervient que lorsqu'une communauté linguistique est à la recherche d'une nouvelle identité. Pourquoi, par exemple, la plupart des juifs locuteurs du sorbien ont-ils relexifié leur langue en tendant vers le vocabulaire haut-allemand ? Une réponse possible est que nombre de Sorbes païens s'identifiaient comme juifs lorsqu'ils devinrent les esclaves domestiques de propriétaires juifs locaux, ou encore afin d'éviter d'être vendus comme esclaves par les Allemands et les Scandinaves. Ceci revient à dire que ce sont principalement des Sorbes convertis au judaïsme qui étaient motivés à relexifier leur parler, plutôt que les juifs eux-mêmes (voir la preuve apportée par Wexler de cette conversion au judaïsme 1991, 1993). Ceci signifie que beaucoup de langues ainsi dites « juives » seraient plus exactement qualifiées de « langues de néo-convertis au judaïsme ». Je suppose que la classe dirigeante khazare, qui s'est convertie au judaïsme afin de préserver sa neutralité vis-à-vis tant des chrétiens byzantins que des Arabes musulmans et du Califat de Bagdad trouvèrent, eux aussi, la relexification attractive (cette fois-là, en tendant vers le yiddish, et là encore, vers le haut-allemand), en tant que moyen leur permettant d'accentuer leur profil religieux juif, d'acquisition récente.
La plupart des linguistes et des historiens ont admis que les immigrants juifs ashkénazes provenant des terres germano-slaves dépassèrent largement du point de vue numérique les juifs indigènes de de langues slaves qu'ils trouvèrent dans les territoires slaves orientaux (voir Geller 1994, 26). Cette supposition est fondée sur la rareté des observateurs yiddishophones qui ont mentionné avoir rencontré des juiveries locutrices exclusives de langues slaves avant le dix-septième siècle (pour plus de détails, voir Wexler 1987). Il est également vraisemblable que les yiddishophones avaient un niveau matériel et culturel plus élevé que les juifs slaves indigènes, ce qui faisait du yiddish, pour ces derniers, une langue prestigieuse et attractive. Néanmoins, la révélation des traits kiévio-polessiens dans la grammaire du yiddish ancien (comme l'existence du duel ; voir ci-après) suggère que les juiveries locutrices de langues slaves étaient très largement répandues à l'époque des migrations ashkénazes vers l'est. Pour avoir pu entraîner de tels changements dans la grammaire du yiddish (sorbien) I, il faudrait faire la supposition d'une prépondérance numérique des juifs de langue slave sur les immigrants (juifs) yiddishophones. Je me pose personnellement la question de savoir si les descendants de langue slave des Khazars, qui partageaient, suppose-t-on, une culture commune avec leurs voisins non-juifs, n'ont pas considéré le yiddish (ainsi que la culture ashkénaze, en général ?), dans des périodes où une identité ethno-religieuse était hautement considérée, comme un outil leur permettant d'accentuer les différences croissantes entre eux-mêmes et les Slaves coterritoriaux, qui connaissaient une christianisation progressive. La proximité entre les langues slaves occidentales et les langues slaves orientales, à cette époque, pourrait avoir également facilité ce deuxième processus de relexification.
La paucité conjecturée des yiddishophones (aux plans tant régional que général) aurait exposé les juifs kiévio-polessiens à la difficulté d'acquérir le yiddish des locuteurs indigènes, renforçant, de ce fait, l' « impact » kiévio-polessien sur la langue yiddish. La présence d'une classe moyenne germanique prospère dans beaucoup de centres urbains d'Europe orientale (voir Martel 1938, 195-196) pourrait également avoir contribué à l'attraction du yiddish,qui ressemblait à un parler allemand. Des sources polonaises des treizième et quatorzième siècles considèrent les juifs locaux comme des germanophones, c'est-à-dire comme un sous-groupe, religieusement déterminé, des colonisateurs allemands (Zientara 1974, 25-26). L'identification des yiddishophones avec la prestigieuse langue allemande peut également avoir incité les juifs kiévio-polessiens à adopter le yiddish. L'avantage de ces sources polonaises tient en ce qu'elles fournissent un terminus post quem à la première phase de la premère relexification : le treizième siècle. Cette dernière date est également confirmée par le fait que les juifs sorbiens ontcommencé à migrer en direction de la Pologne à cette même époque, et ils ne sont pas décrits comme des locuteurs de langues slaves par les contemporains. Etant donné le caractère pratique de l'allemand, en tantque langue de commerce international, la classe moyenne urbanisée en cours d'éclosion, le système légal se mettant en place (voir l'application de la Loi de Magdebourg aux villes slaves), nous devons aussi prendre en ligne de compte la posibilité que le yiddish soit apparu en terres allemandes, en l'absence d'un nombre significatif de locuteurs indigènes.
Il est impossible de déterminer dans quelles régions précisément les juifs de langue slave résidaient avant l'invasion mongolo-tatare, au début du treizième siècle. Mais cette invasion a sans doute chassé bon nombre de juifs et d'autres Slaves vers le nord, dans les terres biélorusses (qui avaient échappé aux Mongols relativement sans subir trop de dégâts) et aussi vers l'ouest, dans ce qui allait devenir les terres polonaises orientales (dans lesquelles résidait une population en majorité ukrainienne et biélorusse) ; ainsi, l'invasion tatare doit être considérée comme une condition sine qua non de la cristallisation d'une juiverie ashkénaze dans les terres kiévio-polessiennes, et donc de la deuxième phase de relexification. L'assaut tatare ayant vu ses effets s'estomper avec le temps, les gouvernants polonais invitèrent, entre autres, des juifs allemands et sorbes à venir s'installer dans les terres slaves orientales qu'ils avaient conquises (voir Martel 1938, 197). La colonisation polonaise des terres slaves orientales, en encourageant la migration vers l'est de juifs sorbes yiddishophones (ainsi, peut-être que celle, simultanée, vers l'ouest, de juifs slaves ?), pourrait avoir également représenté un précondition pour cette deuxième phase de relexification. Si les juifs et les Allemands sont fréquemment trouvés, côte à côte, dans certaines régions polonaises, c'est rarement le cas en Biélorussie et en Ukraine. De plus, le yiddish polonais diffère de celui des territoires slaves orientaux. Ces faits évoquent une origine non-occidentale des juifs ashkénazes. L'utilisation d'un lexique allemand par des juifs ne doit en aucun cas inciter à penser que les yiddishophones devaient nécessairement provenir, eux aussi, de l'ouest (exactement de la même façon que l'utilisation de l'anglais par les Afro-Américains, soit sous sa forme européenne, soit sous sa variante africano-créole, ne signifie nullement que ces locuteurs de l'anglais soient originaires des îles britanniques !)
S'ajoute à cela le fait que les juifs khazars ont rejoint des tribus hongroises qui effectuaient leur migration vers l'Europe centrale, avant le neuvième siècle. Lewicki 1988 a montré que les toponymes basés sur des noms tribaux khazars (comme par exemple Kabar) apparaissent en Hongrie, au nord de la Yougoslavie (région de Voïvodine), en Pologne, en Autriche, en Slovaquie, dans l'ouest de la Roumanie, ainsi qu'en Ukraine et dans le sud de la Russie. Partant, la deuxième relexification pourrait bel et bien avoir commencé en Europe centrale ou occidentale, si un contact a pu s'établir entre des juifs sorbes parlant un sorbien relexifié (= yiddish I) et des juifs khazars parlant le slave oriental ([judéo]kiévio-polessien). Cela soulève la possibilité que le laps de temps séparant le deux relexifications aurait pu être relativement bref.
Le yiddish semble apporter des informations précieuses sur le tracé de la limite occidentale d'extension de la tribu khazare. Examinons une cohorte de racines germaniques corrélées (d'origine moyen-haut-allemandes) : (a) begraben 'enterrer', graben 'creuser', Graben 'tranchée, trou', Grab 'tombe', Moyen-Haut All. grabaere 'fossoyeur' / (b) Begräbnis 'enterrement', Totengräber 'fossoyeur', Gräber 'terrassier' / (c) Grube 'trou, puits, mine' / (d) Gruft 'sépulcre, tombe, voûte' / (e) grübeln 'réfléchir, méditer, ressasser'. De cet ensemble, le yiddish a acquis seulement les morphèmes suivants : (a) bagrobn 'enterrer', grobn 'creuser', grobn 'trou', (b) (ba)greber 'fossoyeur' / (c) grub 'puits, mine'. Le yiddish est dépourvu de la racine correspondant à 'tombe' ; il utilise, à la place kejver 'tombe, tombeau', *kvure 'enterrement', kvores-man ~ kvoresnik 'fossoyeur', brengn cu kvore 'enterrer (rite juif)', tout en inventant karke (cimetière juif) (< hé. qarqa' 'terrain'). (b) All. Totengräber 'fossoyeur', bien qu'attesté en moyen haut-allemand, n'est généralement pas utilisé en yiddish, peut-être en raison de l'ambiguïté de All. Gräber 'tombes' ~ 'fossoyeur(s)' ; les germanismes polysémiques dépourvus d'équivalents slaves sont souvent bloqués en yiddish. Les langues slaves expriment 'fossoyeur' par un nom d'agent (plutôt que par un nom composé), voir par exemple Uk. грабар, гробар, могильник [grabar, grobar, mogil'nik] (l'échec du synonyme moyen-haut all. grabaere, sans Umlaut, pour permettre la relexification, suggère que ce dernier terme était inconnu des yiddishophones).
Les séries (d-e) de termes allemands sont bloquées en yiddish dès lors que le haut sorbien et le slave oriental sont dépourvus d'un jeu de racines afférentes couvrant une aire sémantique aussi large. Voir So (a) pohrjebać 'enterrer', hrjebać 'creuser, gratter la terre', přirow, přěrow, hrebja 'trou, tranchée', mohila, rownišćo 'monticule, tas de terre', row 'tombe' / (b) pohrjeb, chowanje 'enterrement', tótka, rowar, rowryjer 'fossoyeur' / (c) jama, row 'trou, puits'/ (d) rownišćo, row 'sépulcre, tombe, voûte'/ (e) sej hłowu łamać 'ressasser' (lit. 'se casser la tête'). Voir également Uk гребати [grebatji] 'enterrer, être dégoûté par, négligence, mépris', гребти [grebti] 'enterrer'.
Il est étonnant de constater qu'aucune des formes de (a) n'apparaît en yiddish, en regard des similarités formelles des formes slaves de même origine (bien qu'elles ne soient pas similaires du point de vue sémantique). Toutefois, l'existence d'hébraïsmes yiddishs pour 'enterrer' et l'existence de Y. rov (<So. row 'tranchée') ou de riv (< Uk рів) suggère que même l'All. (a) Graben 'trou, tranchée' pourrait avoir été initalement bloqué, lui aussi, en yiddish. L'association (historiquement non attestée) de All. Graben et So. row pourrait s'être mise en place au moment où le g du slave commun était soit toujours exclu du haut sorbien, soit après qu'il soit devenu une fricative, entre le douzième et la fin du quatorzième siècle (voir Schaarschmidt 1998, 95-97 et Vieux So. horw !), (h avant consonne tend à ne pas être prononcé du tout, dans le haut sorbien contemporain).
Le Y.kejver 'tombe, tombeau', pourrait être devenu populaire en raison de sa similarité avec le nom d'une tribu khazare partiellement judaïsée, celle des Kabar, qui ont participé, conjointement au Magyars, au peuplement de la Hongrie [et non de la racine sémitique qbr : tombe, NdT]. Des documents polonais anciens, rédigés en latin, comportent les termes Kawyary (près de Sandomierz, en 1387) et Kawyory (près de Cracovie, à la fin du quatorzième siècle), comme noms de cimetières juifs (pour plus de toponymes polonais et biélorusses, voir Wexler 1987, 212). L'attestation la plus occidentale de ce terme apparaît dans le deuxième composant de l'All. Judenkiewer (Magdeburg, début seizième siècle), interprété en Judenkiew, avec le suffixe pluriel –er de l'allemand (voir Wexler 1987, 213). Magdeburg comptait l'une des plus anciennes communautés juives de l'Allemagne slavique, remontant à la deuxième moitié du dixième siècle. Je pense que les termes polonais en latin venaient du nom Kabar, et qu'après que la connaissance de cet éthnonyme judéo-turcique soit tombée dans l'oubli parmi les juifs, ce terme a pu être aisément réinterprété en He. qever. Pour désigner un 'cimetière', le yiddish a une variété d'hébraïsmes et d'aramaïsmes, par exemple : besojlem, bes-almen, bejsakvores 'cimetière juif' ~ molkes, etc. 'cimetière non-juif' < slavique. Les termes allemands pour 'cimetière' ne sont généralement pas attestés en yiddish, voir par exemple Friedhof, Kirchhof (> So. kěrchow).
Tous les modèles considérant que le yiddish est une forme de l'allemand font l'hypothèse que le yiddish se serait progressivement slavisé au fil du temps. Mais l'hypothèse « slavicisation » rencontre deux difficultés : (i) il faut prouver que les yiddishophones avaient une connaissance approfondie du slave ; de simples contacts avec des locuteurs judéo-slaves n'auraient pu suffire à expliquer la « slavicisation » étendue du yiddish. Il est impératif de réunir des preuves d'un bilingualisme yiddisho-slave, dans tous les lieux et à toutes les époques. (ii) Il est significatif qu'on trouve peu de variations entre les dialectes yiddish est-européens, si l'on considère l'étendue et les détails mêmes de l'impact slave (seul un petit corpus récent d'origine locale : voir ljubarski 1927 ; Swoboda 1979-1980, 1990). Comment des yiddishophones, vivant dans un territoire aussi étendu, auraient-ils pu tomber d'accord sur ces détails si la source de l'influence slave en yiddish était attribuée à une interférence bilingue in situ ?
Si le yiddish est une langue slave, plus qu'une langue germanique fortement influencée par le slave, alors la caractérisation de la composante allemande du yiddish est indigène, et la composante slave en tant que non-indigène est erronée. La supposion que le yiddish est une langue slave qui aurait subi une germanisation intensive de son lexique, plutôt qu'un dialecte allemand slavisé offre une analyse plus aisée de beaucoup de problèmes sans cela insolubles de la linguistique yiddish. Aussi, il semble contre-intuitif d'affirmer qu'une langue pourrait être aussi radicalement influencée par l'interférence d'une autre langue comme cela aurait dû être le cas du yiddish allemand dans une telle hypothèse. Des langues qui ont été en contact étroit avec le slave aussi longtemps, ou presque aussi longtemps, que le yiddish, ne présentent pas l'extrême « slavicisation » qui caractériserait, prétendument, le yiddish. De manière significative, les composantes slaves et allemandes du yiddish sont en distribution largement complémentaire, le slave se retrouvant presque exclusivement dans la grammaire, la phonologie et la phonotactique, alors que l'influence germanique est confinée presque exclusivement au lexique. De manière impressionnante, environ les trois quarts du lexique du yiddish est-européen contemporain est d'origine allemande ; le reste consiste en gros en composants hébro-araméens (environ 15 %) et en composants slaves (environ 10 %) ainsi qu'en une poignée de composants vieux romanches, non attestés en allemand.
On pourrait être tenté d'arguer du fait que la composante allemande relativement appauvrie du yiddish, mesurée tant par la quantité de ses racines germaniques en comporaison avec les dialectes putativement lexifiants, et la quasi absence de synonymes yiddish d'origine germanique, pourrait être aisément attribuée à l'attrition due à de nombreux siècles au contact de langues slaves. Mais cela n'est pas convaincant, étant donné que (i) le yiddish n'a jamais perdu le contact avec l'allemand en Europe de l'Est et que (ii) nous pouvons dans une large mesure exciper du corpus germanique originel du yiddish et identifier les germanismes post-relexification (c'est-à-dire, après le seizième siècle). De fait, toutes les langues relexifiées semblent avoir un lexique superstratal plus restreint que le dialecte lexifiant lui-même (comparer, à ce sujet, le créole haïtien avec le français). En définitive, si le slave avait été la cause de l'attrition de la composante germanique du yiddish, alors nous devrions nous attendre à une composante (du yiddish) plus largement slave, mais en aucun cas à une composante hébraïque…
La démonstration linguistique de mon hypothèse d'une relexification aux deux tiers, dans la genèse et l'histoire du yiddish, peut être résumée en cinq points (brièvement exposés ici, pour plus de détails, voir mon 2002).
(a) Les alternances morphophonémiques allemandes (patterns dérivationnels) qui n'ont pas de parallèles en haut sorbien et / ou en kiévio-polessien sont bloqués en yiddish. Les racines allemandes qui correspondent à des racines de forme et de signification similaired en haut sorbien et / ou en kiévio-polessien (les mots en question sont principalement de même origine) ont été généralement bloqués en yiddish, dès lors qu'ils étaient, apparemment, perçus comme des éléments slaves. Il est difficile de déterminer le degré de similarité requise, tant en terme de forme que de contenu, requis pour causer le rejet d'un germanisme. Les mots allemands suivants sont à la disposition du yiddish, apparemment, uniquement parce que leurs (pseudo-) dérivés haut sorbiens sont formellement et / ou sémantiquement suffisamment différents et parce que la relation génétique n'était apparemment pas immédiatement évidente pour des bilingues naïfs, comme, par exemple : All. heilen 'soigner' > Y. hejln, All. Heilung 'cure, soins' > Y. hejlung, associé à So. cyły, qui signifie « tous » (curieusement, All. heil 'tout entier, sain et sauf' n'est pas régulièrement utilisé en yiddish). Vraisemblablement, All. Tausend 'millier' est acceptable pour le yiddish, sous la forme de tojznt, étant donné que les mots de même origine So. tysac, et Uk. тисяча [tjiciatcha] sont trop éloignés, sur le plan formel.
En yiddish, les racines germaniques sont bloquées si leurs équivalents en traduction haut-sorbienne et / ou kiévio-polessienne ne les recouvrent pas largement du point de vue sémantique. Des études futures devront déterminer si l'association des lexiques germanique et slave par les relexificateurs (conduisant à la décision soit de relexifier, soit de bloquer les germanismes) a opéré sur le domaine minimal des mots individuels, ou sur le domaine maximal des cohortes de racines. Par exemple, le haut sorbien a un jeu de dérivés qui comportent móc 'pouvoir, être capable, posséder', pomhać 'aider', pomoc 'aide', móžno 'possibilité'. La probabilité de trouver une racine germanique présentant des dérivés recouvrant la plupart, et a fortiori la totalité, de ces significations, est faible. Les relexificateurs auraient alors eu à choisir entre (i) lier ensemble toutes les formes slaves et germaniques en un même jeu, et (ii) n'associer que certaines parties des deux jeux de racines, conformément au principe de la similarité sémantique. Il semble que ce soit la seconde option qui ait été prise, dans la quasi totalité des cas. Ainsi, So. móc 'pouvoir', móžnosć, móžnota 'possibilité' sont relexifiés en (parents) maxt, miglexkejt, mais So. móc 'pouvoir, être capable' > Y. kenen, tandis que So. pomhać 'aider' et pomoc 'aide' > Y. helfn et hilf. Si la première option avait été retenue, c'est bien une partie beaucoup plus importante du lexique germanique qui aurait alors été bloquée, ce qui aurait du même coup nécessité le recours à un nombre encore plus important d'hébraïsmes et de slavicismes substrataux. En d'autres termes, la relexification aurait été, dans la pratique, impossible. Le problème réside en ceci que si les hébraïsmes (remplaçant des germanismes exclus) étaient également acquis pour exprimer certaines de ces significations, l'attribution n'est pas immédiatement claire de leur présence à l'échec à associer toutes les formes du So. móc à une unique racine germanique, ou à des divergences entre certaines parties des deux paradigmes. Ainsi, par exemple, à côté de kenen 'pouvoir' (< All.), le yiddish utilise aussi *zajn bekojex, zajn bixojles (humoristique), joxlen pour 'peut-être, possible', le yiddish a efšer, tomer, parallèlement à miglex < All. Très vraisemblablement, ces hébraïsmes ont été acquis en raison de l'étrangeté de l'alternation non-slavique des termes parents All. kennen 'savoir' / können 'pouvoir' et du recours à différentes racines slaves, pour une partie du paradigme, comme par exemple So. snadź, snano 'peut-être'.
(b) Souvent, le yiddish est exempt de l'abondance des synonymes d'origine germanique que l'on peut trouver dans la plupart des dialectes allemands.
(c) Le yiddish a recours au marqueur du pluriel ■/▲-(e)n (< All. -[e]n) pour les noms allemands, en violation des règles allemandes, et souvent en imitation du « pseudo-duel » du kiévio-polessien. Ceci suggère que le yiddish a dû avoir, dans le passé, un nombre duel. (Voir mon 2002 pour la discussion de la raison du choix par le yiddish de l'opposition ■/▲-[e]n en raison de sa similarité avec l'infixe radical –en– du slave commun, qui a fini par devenir partiellement associé au nombre pluriel, comme dans : Uk. ім'я 'nom', genitif імени ~ ім'я, pluriel іменa).
La distribution du marqueur de pluriel (■)-(e)n en yiddish diffère radicalement de celle de son équivalent germanique, en ceci qu'il correspond généralement à des noms ukrainiens et biélorusses (et moins fréquemment russes) qui ont une terminaison spécifique après les numéraux 2-3-4, qui consiste en une terminaison plurielle + l'accentuation du singuler. Cette terminaison peut être qualifiée de « nouveau pseudo-duel » (étant donné qu'il diffère des terminaisons du duel du slave commun, et impliquent les nombres 3 et 4). Le pseudo-duel est limité aux cas nominatif et accusatif ; pour les autres cas, les numéraux gouvernent le pseudo-duel ; par contraste, la terminsaison Y. (■)-(e)n n'est pas restreinte à des noms faisant suite à un adjectif numéral. Ceci pourrait être cohérent avec le véritable duel, qui aurait pu être obtenu à partir du haut sorbien, lors de la première phase de relexification.
Les faits distributionnels du yiddish correspondant désormais bien au pseudo-duel ukraïno-biélorusse, il pourrait être plus approprié de parler d'un pseudo-duel en yiddish, tout aussi bien. De manière significative, le pseudo-duel n'est pas largement utilisé, ni en ukrainien, ni en biélorusse, ni en yiddish, avec des noms qui désignent des objets allant par paires (tels 'oreilles', 'yeux', 'ciseaux'). De plus, le pseudo-duel, en ukrainien et en biélorusse (< kiévio-polessien) peut survivre dès lors qu'il possède un marqueur formel ; le yiddish est dépourvu de la capacité à faire glisser l'accent tonique sur les désinences (en raison de l'influence germanique). Etant donné que présumablement le pseudo-duel yiddish n'était pas largement employé, à l'origine, avec des noms désignant des objets allant par paire, il est tombé en désuétude, ce qui n'a rien d'étonnant, et (■)-(e)n devint un marqueur de pluriel dépourvu de toute ambiguïté.
Je suggère l'idée que le pseudo-duel kiévio-polessien a pu être intégré au yiddish au moment où le kiévio-polessien fut relexifié en tendant vers le lexique yiddish (et allemand) (effaçant vraisemblablement le duel haut sorbien). De nos jours, (■)-(e)n dénote exclusivement le pluriel. L'abondante littérature sur l'interférence bilinguale ne fournit aucun exemple d'une catégorie duelle empruntée avec succès par une langue exempte, originellement, de cette catégorie. Par conséquent, un nombre duel en yiddish représenterait une preuve puissante plaidant en faveur de l'hypothèse de la relexification.
Le yiddish contemporain a tendance à appliquer la terminaison plurielle (■)-(e)n sur le plan phonologique (c'est-àdire en fonction de la consonne finale de la racine régulière). Ce fait vient obérer les fonctions historiques de Y. (■)-(e)n ; néanmoins, un nombre conséquent de germanismes anciens, en yiddish, qui auraient pu prendre la terminaison Y. (■)-(e)n dans les cas où elle avait une fonction de duélisation, sont encore identifiables. Je suppose qu'originellement, des noms avec Y (■)-(e)n en fonction duelle recouraient à un autre suffixe pour marquer le pluriel.
Le pseudo-duel est beaucoup plus productif en ukrainien contemporain qu'en biélorusse contemporain ; le dictionnaire biélorusse compilé par Sudnik et Krywko en 1999 comporte environ 150 exemples, pour la plupart des noms féminins, alors que les dictionnaires ukrainiens citent plus de 600 noms pouvait être mis au pseudo-duel ; ce sont principalement des noms féminins (voir Pohribnyj 1964). Là où le biélorusse a seulement 15 noms masculins, l'ukrainien en a plus de 200. De plus, la distribution du pseudo-duel dans les formes en ukrainien correspondent mieux avec Y (■)-(e)n que le biélorusse, ce qui fournit un argument linguistique précieux plaidant en faveur de l'hypothèse que l'essentiel des juifs kiévio-polessiens, d'origine principalement khazare, qui devinrent les premiers des slavophones, résidaient originellement dans la partie méridionale du territoire (c'est-à-dire dans la partie pré-nord-ukrainienne). Les données yiddish peuvent aussi soulever la possibilité que les noms est-slaviques dépourvus aujourd'hui du pseudo-duel en disposaient, à l'origine. Par exemple, Y. trer(n) 'larme (dans l'œil)' pouvait tirer sa terminaison (■)-n du Br. сляза [sljaza] qui a un pseudo-duel, étant donné que le parent Uk. сльоза [sljoza] présente actuellement un glissement d'accentuation sur la racine, mais pas de pseudo-duel. soit Y. trer(n) a été formé sur le modèle Br. сляза, soit l'Uk. сльоза possédait autrefois une forme pseudo-duelle. De même, le pluriel en –n du synonyme All. Träne (inconnu en yiddish) peut être la base du pluriel yiddish (en particulier, après la relexification).
Il est impossible de retracer une chronologie exacte du pseudo-duel en ukrainien et en biélorusse, car les accents sont rarement indiqués dans les textes antérieurs au seizième siècle. Mais l'existence du phénomène, tant en ukrainien qu'en biélorusse suggère une origine kiévio-polessienne, c'est-à-dire une origine antérieure au quatorzième siècle (date que Shevelov relève pour la première attestation du pluriel après « deux » en ukrainien, voir 1963, 234-236). Le sorbien n'aurait pas pu développer un pseudo-duel, dès lors que l'accent a commencé à se fixer sur la première syllabe de la racine entre les douzième et quatorzième siècles (Schaarschmidt 1998, 87-88) et que la catégorie originelle du duel a subsisté dans cette langue.
L'utilisation que fait l'est-slavique de l'accent tonique pour marquer le pluriel et le pseudo-duel a pu, en théorie, avoir été maintenu dans le yiddish, après la deuxième phase de relexification. Par exemple, certains noms yiddish distinguent les paradigmes singulier et pluriel au moyen d'un glissement de l'accent tonique (accompagné d'un marqueur pluriel), exemple : (■)miníster (pluriel ministórn) 'ministre' < All. Miníster ou Uk. мінíстер (avec accent fixe, en définitive < Latin), ▲tálmed (talmídim) 'étudiant', ■pól'ak (pol'áken) 'Polonais'.
Dans Y. fúrman (furmánes) 'conducteur', les composants sont d'origine germanique, mais (sur le modèle So. wóznik, Uk. водій [vod'jî], on note l'absence de suffixation que l'on trouve dans le moyen-haut allemand vuorman (vuorliute). Toutefois, il n'exite pas d'exemples d'un nom non-singuler présentant en yiddish deux types d'accentuation, comme ■ministórn pluriel vs. *minístorn duel. L'âge de l'accentuation mobile des noms yiddish est inconnu ; on pense généralement que la prononciation yiddish des emprunts à l'hébreu est vraisemblablement apparue dans des langues autres que le yiddish (je soupçonne que la tendance à faire passer l'accent sur les terminaisons en hébreu moderne est soit d'origine slave orientale, soit tirée de l'hébreu ancien, et renforcée dans ce dernier cas par le parallélisme avec le slavique oriental].
Le duel yiddish a dû devenir improductif, un certain temps après la deuxième phase de relexification, aux 15ème-16ème siècles, à en juger au fait que le yiddish utilise de manière productive (■)-(e)n comme marqueur du pluriel, bien plus que All. –(e), (bien que l'influence de l'allemand moderne ait, aussi, pu contribuer à la productivité de Y. (■)-(e)n ).
Quand un nom yiddish avec l'alternance (■)-(e)n correspond à un certain nombre de termes en ukrainien, certains d'entre eux, seulement, pouvant être mis au pseudo-duel, nous pouvons reconstrurie l'imput slave vraisemblable de la relexification. Par exemple, Uk. lavka 'boutique', mais non pas kramnycja, peut se mettre au pseudo-duel. Partant de là, je suppose que le choix, par le yiddish, d'une alternance (■)-n dans gevelb(n ~ -er) 'boutique, magasin', a été motivé par Uk. лавкa (vs. All. Laden [Läden]). Considérons aussi Uk. війнa (avec pseudo-duel) 'guerre' ~ Y. krig(n) vs. Al. Krieg(e). Là où les synonymes uk. бій and боротьба sont tous deux dépourvus de pseudo-duel, le correspondant Y. kampf 'lutte, combat, guerre' se pluralise en (■)-n (vs. All. Kampf [Kämpfe]). Je suppose que le yiddish en est venu à innover, dans sa distribution des terminaisons en (■)-(e)n dans la fonction duelle, en particulier après la deuxième phase de relexification, à un moment où le substrat slave ne fonctionnait plus de manière étendue, et / ou bien où les juifs devenaient, graduellement, des locuteurs exclusifs du yiddish. Ceci semble découler de la forte présomption que Y. kampf – avec f soit une acquisition récente (vs. la forme plus ancienne Y. kop avec -p < All. Kopf).
Un certain nombre de mots allemands, slaves et occasionnellement hébreux, en yiddish, prennent deux ou trois pluriels différents, généralement sans implications sémantiques, voir, par exemple : Y. vogn(s ~ vegn ~ vegener) 'char', kni(es ~ -en ~ zéro pluriel) 'genou', noz (nez ~ ne[j]zer ~ rare -n) 'nez'. Les pluralisations multiples du yiddish pourraient (i) résulter de la fusion, dans la langue courante, de différents choix dialectaux, (ii) refléter des différences et des changements de productivité au fil du temps et dans l'espace, (iii) résulter de la survivance de marqueurs originels du pluriel et du duel.
Dans Y. ▲lošn 'langue (parlée)', la double préfixation semble induire une sens duel ; à opposer au pluriel attendu ▲lešojnes vs. lešojnesn ▲ '(Classical) Hebrew and Aramaic' (Rejzen 1926, article 409). L' « union » de ces deux dernières langues est possible, parce qu'il s'agit de deux langues sémitiques proches l'une de l'autre, qui ont en commun des usages littéraires et liturgiques uniquement écrits, dans les communautés yiddishophones ; il en résulte qu'elles sont également désignées d'un glottonyme Y. commun : ▲lošn kojdeš (lit. 'langage saint'). La double préfixation employée sur des germanismes, en yiddish, fournit parfois un moyen de distinguer entre le duel (avec une seule préfixation) et le pluriel (avec double préfixation). La création de la forme plurielle non-équivoque Y. ojgenes 'yeux' (~ All. Auge[n]) évoque une tentative d'éliminer l'ambiguïté de ojgn 'yeux', qui est conceptuellement duel ou pluriel ; le pluriel ojgenes laisserait ojgn (vs All. pluriel Augen) disponible pour marquer de manière non équivoque le nombre duel.
Le yiddish présente certains noms composés d'origine non-germanique, avec un sens duel, qui sont utilisés dans la langue littéraire, principalement, comme pluriel et comme singulier dans le yiddish parlé, exemple : Y. (■)tate-mame '(deux) parents' (lit. 'père' + 'mère'), ■zejde-bobe '(deux) grandparents' (lit. 'grand-père' + 'grand-mère'). Le premier exemple correspond au Pol. ociec i mać, attesté depuis le début du quinzième siècle ou à l'Uk. батько-мати [bat'ko-matji], le second exemple correspondant au So. dźěd a wowka 'grands-parents'.
(d) L'assignation de genre de nombreux emprunts germaniques et hébraïques dans les dialectes yiddish suivent le genre en kiévio-polessien, plus que celui des équivalents allemand et hébreu, voir par exemple : Y. bet, féminin, neutre 'lit' ~ Uk. ліжкo [ljijko] neutre (tous les neutres slaves > feminin en Yiddish) vs. All. Bett exclusivement neutre.
(e) Une preuve importante de l'hypothèse selon laquelle le kiévio-polessien aurait contribué par quelques lexiques non-relexifiés provient de la géographie des slavicismes orientaux en yiddish, dont beaucoup semblent provenir spécifiquement de dialectes parlés dans le sud et l'ouest de la Biélorussie, ainsi que dans le nord et l'ouest de l'Ukraine – c'est-à-dire, précisément de la zone du dialecte kiévio-polessien originel, jusqu'à sa désintégration et à ses réajustements autour du 14ème siècle. Voir, par exemple : Y. ■bereze, ■ber'oze 'bouleau' ~ ubiquiste Br ; бярозa [bjaroza], alors que бярэзa [bjarèza] est rare et limité à la région sud-ouest (de la Biélorussie) ; voir aussi Uk. березa [bjérjéza] (Dyjalektalahičnyj atlas belaruskaj movy 1963, carte 29); Y. ■bloxe 'mouche' ~ Uk. блоха [blokha] ~ блиха [bljikha] (Atlas ukrajins'koji movy 1984, carte 84). Il est impossible de déterminer si le nombre de kiévio-polessianismes non-relexifiés en yiddish était originellement plus important qu'il ne l'est aujourd'hui ou bien, si, au cours des six siècles écoulés depuis la désintégration du kiévio-polessien, de nombreux kiévio-polessianismes n'auraient pas été éventuellement remplacés par de nouveaux localismes, tant ukrainiens que biélorusses…
Alors qu'il est largement admis que le polonais et les trois langues est-slaviques sont les principales langues donatrices, l'unanimité ne se fait pas sur les origines des nombreux slavicismes yiddish isolés. L'hypothèse « relexification » offre un moyen permettant de séparer les slavicismes substrataux des slavicismes adstrataux en yiddish. Ce fait a été relevé par Šulman (1939, 82), qui a cité un chiffre d'environ 10 % de polonismes parmi les slavicismes dans le yiddish slavicisé oriental, à opposer à quelque 50 % de slavicismes orientaux dans le yiddish polonais, voir par exemple : PolY ■mučen 'tourmenter', ■p'ate 'guérir', ■pi(š)čevke 'vétille' (< Uk. мучити, п'ята, підшивка 'doublure' vs. Pol pięta, męczyć [> Y. Pologne centrale ■menčen], podszewka).
Le nombre relativement réduit de polonismes dans le yiddish ukraïno-biélorusse est remarquable à trois titres : (i) A la fin du 19ème siècle, les juifs constituaient le groupe ethnique dominant tant dans les petites que dans les grandes villes dans les gubernijas de Vicebsk et de Mahilëw, à côté des Polonais. (ii) D'après la théorie traditionnelle, les juifs auraient prétendument migré depuis l'Allemagne, à travers la Pologne, en direction de la Biélorussie et de l'Ukraine. (iii) Le faible impact des polonismes sur le yiddish slavique oriental contraste fortement avec la direction de diffusion des slavicismes entre les langues polonaise et slaves orientales. L'impact du polonais sur le biélorusse et l'ukrainien est bien plus important que l'impact de ceux-ci sur les dialectes polonais, c'est-à-dire que nous constatons le contraire de ce qui se passe à l'intérieur de l'ère du yiddish. Ce n'est pas moins de 14 % du vocabulaire ukrainien qui s'avère être d'origine polonaise (Shevelov 1975, 452-453, note 12).
La polonisation intensive du biélorusse et de l'ukrainien signifie qu'une partie de l'impact polonais sur le yiddish slave oriental pourrait provenir jusqu'à celui-ci à travers l'intermédiaire secondaire du biélorusse et de l'ukrainien. Ceci réduit encore l'impact direct du polonais (ou du yiddish polonais) sur le yiddish slave oriental, étant donné qu'un certain pourcentage des polonismes, du point de vue des dialectes-cibles yiddish, sont pour l'essentiel des ukrainianismes et des biélorussismes. Par exemple, Y. ■jatke 'marché de la viande', bien qu'en dernière analyse d'origine polonaise, a pu avoir été acquis directement du Pol. jatka ou de l'Uk. яткa (où ce polonisme est apparu, pour la première fois, au 16ème siècle.) Un autre problème, dans l'identification des influences du polonais en yiddish, tient au fait que les slavicismes orientaux peuvent assumer une forme polonoïde en yiddish, exemple : Y. ■blote 'boue, saleté, poussière' pourrait < Uk. болото 'marais, marécae, boue, terre', avec la perte de la syllabe initiale, non accentuée, et pas nécessairement du Pol. błóto.
Deux autres indications possibles du corpus judéo-slavique non-relexifié sont vérifiées lorsque des slavicismes yiddish, soit diffèrent formellement du slavique coterritorial, soit sont des slavicismes / slavoïdismes rares ; les deux types de lexiques sont fondamentaux pour la reconstruction des grands traits d'un slavique oriental judaïsé. Un exemple est Y. ■pral'nik 'cafard de buanderie'. Le Br ; пральнік et l'Uk. пральник ne sont attestés qu'en des lieux erratiques dans le sud de la Biélorussie centrale (sur la frontière ukrainienne), dans certains lieux de l'Ukraine du nord ouest, près de la frontière biélorusse et dans les zones s'étendant entre Rivne et Luc'k, ainsi qu'entre Rivne et Novhorod – Volyns'kyj (voir Wexler 1987, 95, 186-188 ; des formes telles Br. [a]пранік, Br, Uk. прач, etc. sont les termes privilégiés). Voir aussi en Pol. dialectal praln'ik 'cafard de buanderie', dans le district de Sejn, < peut-être du biélorusse. La nature dispersée des quelques localisations survivantes de Br. пральнік et Uk пральник suggère une forme anciennement populaire en Kiévio-Polessie.
Enfin, il existe des concepts qui sont exprimés en yiddish au moyen d'éléments slaviques, souvent sans synonymes allemands ou hébraïques ; ces termes semblent être des éléments substrataux qui ont résisté à la relexification des première et deuxième phases, probablement afin de dénoter des termes culturels spécifiques. Ces slavicismes se rangent dans diverses familles sémantiques indépendantes les unes des autres, voir, par exemple la religion et la culture juives (c'est là un fait très significatif, voir par exemple Y. ■trejbern 'parer la viande afin d'ôter les parties rituellement interdites' ~ Uk теребити 'peler, écaler, manger avidement, défricher un champ', ou encore la faune et la flore. Beaucoup de termes slaves orientaux ou haut-sorbiens présents dans le yiddish et dénotant la flore et la faune sont également largement utilisés dans les toponymes slaviques anciens, exemple : Slavique bagno 'marais' est beaucoup plus rare dans les toponymes slaviques que le slavique blato, etc (et mis à part l'ukrainien et le biélorusse, il est limité aux langues slaviques occidentales) ; ce dernier terme est utilsé en yiddish, à la différence du précédent. La rétention de certains noms d'arbres slaviques, par exemple Y ■dub 'chêne', ■bereze 'bouleau' (et leurs variantes) reflète peut-être le statut vénéré de ces arbres dans la société slavique pré-chrétienne (voir Gimbutas 1967,744-745). Le blocage de la relexification en direction des germanismes est également probable dans le domaine de la topographie. Beaucoup de racines slaves qui sont toujours abondamment attestées dans des toponymes allemands d'origine sorbe et polabienne sont préservées en yiddish (dans les cas où l'on suppose qu'elles sont d'origine sorbe) ; exemple : Y ■ričke 'fleuve, crique ' < So. rěčka, Uk. річка.
De même, certains termes culinaires slaviques semblent avoir été retenus par le yiddish, voir, par exemple ■blince 'crèpe' ('blini'). Les dialectes du sud-est de l'Allemagne ont emprunté ce terme eux aussi. Le yiddish a peut-être réussi à retenir les haut-sorbianismes parce que les viennoiseries allemandes étaient préparées d'une manière différente. Kieser (1972, 164) note que les 'Plinsen' étaient essentiellement préparées à base de farine de sarrasin (« blé noir ») et de lait. Mme Vladimirskaïa (Владимирская (1982, 75)) étudie les différentes significations du russe блин(ц)ы [bljinï ou bljintsï] dans les dialectes de la région des Balakleev, située dans la district de Kharkov (Xarkiv oblast').
Là où le yiddish présente des concepts qui ont un parallèle dans les langues slaves, mais non en allemand, je m'attendrais à trouver ces concepts rendus en yiddish par des slavismes non-relexifiés ou par de nouveaux hébraïsmes / hébroïdismes. Un exemple est Y ▲mexutn 'beau-père'. Le fait que les yiddishophones n'utilisent pas l'équivalent slavique (par exemple Uk. сват [svat]), pourrait refléter un changement dans son sens originel, parmi les locuteurs de yiddish et / ou de langues slaves, ce qui nécessiterait alors le recours à un nouveau mot, en yiddish. Une nouvelle dissymétrie, soit pendant, soit après la deuxième phase de relexification, pourrait avoir nécessité l'utilisation d'un hébroïdisme distinct, comme dans Y. ▲mexutn (voir Wexler 1993, 174, 1997). Curieusement, dans certaines langues slaves orientales, le terme indiquant 'marieur', ou 'marieuse' est également exprimé par la même racine, voir, par exemple, le russe сват, свахa. Mais en yiddish, 'marieur' ('marieuse') est uniquement exprimé par l'hébroïde ▲šatxn. Ceci évoque la pratique dialectale ukrainienne consistant à distinguer сват, свахa 'beau-parent' de старостa 'marieuse' (< старий 'vieux'). Le recours à un terme particulier pour « beau-parent » est typique du slavique, du turcique, du mongolien,… mais en aucun cas de l'Allemand.
Si les dialectes yiddish orientaux révèlent des traits grammaticaux kiévio-polessiens qui ne pourraient pas avoir pénétré en son sein en passant par une interférence bilinguale, il n'y a pratiquement pas de traits phonologiques ou grammaticaus altaïques en yiddish (à la possible exception des constructions prériphrastiques pour des éléments verbaux hébraïques cités ci-après). Ceci suggère que les descendants des juifs khazars ont acquis le yiddish alors qu'ils étaient déjà de manière prédominante des slavophones.
La géographie de ces termes lexicaux et des constructions grammaticales à l'intérieur du yiddish (à l'intérieur de l'Allemagne, et aussi loin, vers l'ouest, que le limes sorabe originel séparant le Saint Empire Romain Germanique de zones mixtes germano-slaves, au 9ème siècle) et leur présence dans d'autres langues confirment l'assertion d'une migration khazare vers l'Europe occidentale (c'est-à-dire vers les terres allemandes) avant l'effondrement de l'Empire khazar du fait de la Rus' kiévienne, à la fin du 10ème siècle. Une question demeurant pendante est celle de savoir combien de temps les juifs kiévio-polessiens ont-ils conservé l'usage courant d'une langue turcique ? Voici déjà plusieurs années, j'avais soulevé la possibilité d'un substrat turcique qui pourrait s'être manifesté dans le discours ukrainien stéréotypé des juifs, dans certaines pièces de théâtre ukrainiennes (appelées « intermèdes ») des 17ème et 18ème siècles. Le principal trait du parler juif ukrainien était une confusion des sifflantes, qui pouvait être attribuée à une langue turcique, bien que d'autres explications de ce discours stéréotypé puissent aussi venir à l'esprit (voir plus de détails in Wexler 1987, 192 et sq et 1994).
Le yiddish présente trois types de preuves de l'existence de liens spécifiques avec des communautés (juives ?) de langues turco – iraniennes.
(a) Ordinairement, le yiddish recourt à une conjugaison périphrastique afin d'intégrer les matériaux verbaux hébraïques.
La majorité du matériel verbal hébraïque pénètre en yiddish sous la forme du participe (actif / présent) masculin singulier, qui devient indéclinable en yiddish et doit recourir à une conjugaison périphrastique au moyen de deux verbes auxiliaires allemands. Occasionnellement, le yiddish oriental conjugue du matériel verbal hébraïque à l'accompli, au moyen d'une conjugaison standard, non-périphrastique ; l'intégration duale d'une unique racine hébraïque est rare, voir, par exemple : . batkenen ▲'inspecter (des animaux de boucherie pour rechercher des impuretés éverntuelles') ~ périphrastique ▲bojdek zajn 'examiner, scruter, inspecter' < Hébreu bādqū 'ils ont inspecté' et bōdeq 'il inspecte, inspectant' + All. sein 'être', respectivement. La conjugaison périphrastique est destinée presque exclusivement aux hébraïsmes, dans le yiddish slavique ; elle est excessivement rare dans le yiddish occidental (allemand), et elle est totalement inconnue en Rotwelsch (argot) allemand, où la conjugaison non-périphrastique prévaut. La conjugaison périphrastique des hébraïsmes est disponible dans d'autres langues juives, telles par exemple le Karaïte (qui utilise aussi beaucoup d'arabismes), le slave judéo-oriental du 17ème siècle et le judéo-espagnol des Balkans. De manière significative, la conjugaison périphrastique est également extrêmement productive en iranien, dans les langues turciques et en Dungan (une langue chinoise parlée par les musulmans), elle sert aussi à l'intégration de matériel verbal arabe.
La géographie de la conjugaison périphrastique m'amène à suggérer l'idée que la construction yiddish peut trouver ses racines dans une langue judéo-turcique, telle le khazar. Si tel est le cas, la conjugaison périphrastique aurait très vraisemblablement atteint le yiddish seulement au cours de la deuxième phase de relexification. Je suppose également que la distribution actuelle de la conjugaison périphrastique du yiddish reflète l'utilisation de constructions parallèles périphrastiques et / ou composées dans le substrat kiévio-polessien, et partant, qu'elle est susceptible de bloquer des équivalences en traduction allemande (voir détails dans mon 2002).
Le fait que l'allemand puisse lui aussi recourir à des verbes préfixés ou à des compléments verbaux ne semble pas affecter la distribution de la conjugaison périphrastique yiddishe. Par exemple, au Y ▲bojdek zajn 'examiner, scruter, inspecter' correspond des termes allemands qui avaient été bloqués en yiddish pour une raison ou pour une autre, voir par exemple : All. be(auf)sichtigen, beobachten, beschauen, (er)forschen, (nach)prüfen, untersuchen, etc.
Le Y. batkenen non-périphrastique exprime une 'inspection religieuse' (vs Hébreu ancien 'inspecter'), terme pour lequel aucune contre-partie germanique n'est disponible. Les équivalents en Uk. sont toujours des verbes préfixaux ou des verbes qui tendent à avoir un complément adverbial, voir par exemple : Uk. допитувати, наглядати, оглядати, перевіряти, (старанно) досліджувaти, вислухувати.
En Yiddish, la notion 'diffamer, calomnier' requiert un germanisme préfixé, un simplex avec un complément ou un hébraïsme périphrastiquement intégré, comme dans Y. barden < redn 'parler' (< All. bereden, également 'commenter, discuter, persuader', significations non attestées en Yiddish), ▲redn rexiles ojf (lit. 'dire des racontars sur'), ▲mojce-šemra zajn ojf (lit. 'répandre une mauvaise réputation sur'), ▲redn rišes (lit. 'parler en mal'; le second terme signifie également 'antisémite'), ▲maxn a bilbl (lit. 'faire de la confusion, diffamer'), ▲malšn zajn ojf (< lit. 'informer contre').
Les termes Ukrainiens correspondants ont aussi une tendance à être périphrastiques, voir par exemple Uk. зводити наклеп, порочити репутацію 'diffamer, calomnier' (lit. 'apporter de la diffamation, insulter une réputation', respectivement) ~ aux non-periphrastiques, mais préfixés доносити, обвинувачувати, засуджувати 'dénoncer'.
(b) Le Yiddish présente des hébraïsmes occasionnels présentant une forme ashkénazique phonétique atypique. Y. ▲ta'arebret 'bière', 'cercueil' < He Ancien ţāhārāh devrait être soit tohoro en Hébreu ashkénaze "complet" (i.e. dans des textes monolinguaux hébraïques lus par des yiddishophones) ou encore "mélangé" (i.e. dialectal) le Y. to'ore. Les signes diacritiques qamac et pataħ en Hébreu ancien > Y.o ~ u en syllabes ouvertes et a en syllabes fermées.
D'autres exceptions sont à trouver dans des hébraïsmes slaves,voir Br. кагал [kagal] 'communauté juive (organisation)' (vs Y. kôl, kûl). La lecture déviante des signes diacritiques hébraïques pourrait théoriquement être un reliquat des normes de lecture des juifs khazars, héritées par les juifs ashénazes. De même, des formes inattendues d'hébraïsmes en yiddish occidental (créées à l'ouest de la rivière Elbe) pourraient être des vestiges de normes de lecture judéo-françaises ou judéo-italiennes (voir Jacobs et al. 1994, 396-397; Wexler 1988, 96-116).
(c) Le yiddish comporte quelques mots iraniens qui sont également attestés en slavique oriental, mais pas toujours sous la même forme ni avec la même signification. Ceci suggère que le yiddish pourrait avoir acquis ces termes à travers ses propres contacts avec les sources linguistiques concernée, et non pas de manière indirecte, via des intermédiaires slaviques coterritoriaux. Deux variantes d'un même iranisme sont (i) Br, Uk Y šabaš 'pourboire donné à un musicien, à un marriage, par les invités qui prennent part à la danse' et (ii) le pan-Y šibeš 'piécette, vétille'. (Ce dernier terme est orthographié comme s'il s'agissait d'un mot hébreu, mais il n'a pas acquis la signification de l'He. šibūš 'complication', qui pourrait théoriquement devenir également *šibeš en yiddish.) La première variante, habituellement sous une forme tronquée (mais souvent dans un sens plus proche que celui de la deuxième variante), se trouve dans des langues non-juives s'étendant du russe à l'argot hollandais (voir Wexler 1987, 64-69, 218 et 1993, 108-110). Le sens de la première variante, restreinte au yiddish, est identique à celui de l'étymon des deux variantes – le persan šābāš.
En 1993, je considérai que les juifs ashkénazes constituaient une « population slavo-turcique à la recherche d'une identité juive ». Cela aurait pu être une description appropriée pour la première phase de relexification. Pour la seconde phase de relexification, évoquée pour la première fois en 2000, il est plus correct de parler d'un « peuple turco-slavique ». Espérons que les généticiens auront bientôt quelque chose à nous révéler au sujet du mélange fluctuant entre les ethnicités slaviques et turciques qui ont contribué à l'ethnogénèse des juifs ashkénazes.
Dans l'attente, toutefois, la linguistique yiddish demeurera la preuve irréfutable (seulement) d'une composante khazare dans l'ethnogénèse du peuple ashkénaze.
Note
Les symboles suivants des origines des composants lexicaux utilisés dans les exemples signifient ▲ = origine hébraïque, ▲ = Hebroïdisme ; ■ = origine slavique, ■ = Slavoïdisme.
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Joachim Martillo : ThorsProvoloni@aol.com
| Source et traduction : Marcel Charbonnier |
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